Le régime de la responsabilité décennale est établi par les articles 1792 et suivants du code civil. Il prévoit la responsabilité du constructeur envers le maître d’ouvrage ou l’acquéreur de l’immeuble en cas de dommage affectant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination. Cette responsabilité se prescrit par 10 ans à compter de la réception.
Si la responsabilité du constructeur est engagée, il est tenu de la réparation des dommages matériels, c’est-à-dire des travaux de reprise de l’ouvrage affecté de désordres.
Mais sa responsabilité ne s’arrête pas là. En application du principe jurisprudentiel de réparation intégrale, il doit réparer l’entier préjudice du maître d’ouvrage sans qu’il n’en résulte pour ce dernier ni perte ni profit. L’objectif poursuivi est que le maître d’ouvrage soit repositionné dans la situation dans laquelle il se serait trouvé sans l’existence des désordres.
Le constructeur responsable peut donc également devoir réparer les dommages immatériels subis par le maître d’ouvrage dès lors qu’ils sont la conséquence des désordres.
Cette question est capitale puisque les dommages immatériels peuvent représenter la part majoritaire du préjudice subi par le maître d’ouvrage.
Ces dommages immatériels sont variables et dépendent de la situation du maître d’ouvrage : perte de loyers si l’immeuble devait être mis en location, préjudice de jouissance, perte de marge si les dommages concernent un commerce qui ne peut être ouvert, etc.
La jurisprudence retient par exemple que le préjudice de jouissance lié à l’entrave de l’usage normal de l’habitation pendant les travaux de reprise est un dommage immatériel indemnisable (CA Nancy, 9 janvier 2018, RG n° 16/02640).
Une décision récente de la Cour de cassation confirme que le préjudice immatériel constitue bien un préjudice indemnisable au titre de la responsabilité décennale et que ce préjudice doit être réparé intégralement (Cass. 3ème civ., 9 juillet 2020, n° 19-18.954).
Cette décision apporte une précision cruciale sur le caractère intégral de la réparation du préjudice locatif de perte de loyers. La Cour décide ainsi que l’indemnisation de ce préjudice doit couvrir toute la période des travaux de reprise, jusqu’à leur achèvement (réception), pendant laquelle le bien est indisponible à la location.
Le préjudice de perte de loyers prend donc fin lorsque le bien peut être mis sur le marché et l’indemnisation allouée doit tenir compte de cette période de travaux de reprise même si elle présente un aléa quant à sa durée, comme tentait de le faire admettre le constructeur responsable.
Reste alors à savoir si ces préjudices immatériels sont couverts par les garanties d’assurance des constructeurs, question indispensable en cas de défaillance de ces derniers.
Sur ce terrain, les compagnies exigent généralement que des pertes financières soient démontrées pour que le préjudice soit considéré comme indemnisable, ce qui peut s’avérer problématique pour certains types de préjudice tel que le préjudice de jouissance lié à un usage altéré de l’immeuble.
La jurisprudence des Cours d’appel n’est pas unifiée sur ce terrain. Certaines suivent la position des compagnies en réclamant la démonstration d’une perte financière (CA Rennes, 10 novembre 2016, n° 13/03933). D’autre adoptent une position plus souple et considèrent que le dommage est garanti dès lors que son existence est démontrée (CA Colmar, 23 novembre 2018, RG n° 571/2018).
Cet article est l’occasion de mettre en avant le travail artistique du photographe SBE552, auteur de la photo d’illustration, dont vous pouvez retrouver le portfolio sur ce lien :